
« Elle m’a fait un enfant dans le dos ! ». Souvent, on ajoute une petite note colorée : « Elle m’a fait un enfant dans le dos, la salope ! » Vous avez déjà entendu ça ? Peut-être l’avez-vous même dit… Ça fait un moment que je grogne sur le sujet, il était temps que je mette ça noir sur blanc, parce que je n’en peux plus de cette excuse minable du mâle hétéro. Oui, une excuse minable qui sonne comme un « c’est pas moi, c’est elle » de cour de récré. Oui, garçon[1], c’est digne d’un gosse qui n’assume pas ses actes !
Sais-tu que si tu n’en veux pas d’enfant, il existe des tas de moyens de ne pas en faire ? Ça s’appelle la contraception[2]. Ça te parle ? Alors non, ce n’est pas un gros mot. Ce n’est pas non plus réservé aux femmes, c’est une responsabilité partagée. Et oui, tu es concerné à partir du moment où tu veux ken, baiser, t’envoyer en l’air, forniquer, t’accoupler, ou faire l’amour… ou te reproduire.
Je me souviens de cette conversation avec ce cinquantenaire établi. Établi dans ses biens matériels et dans sa cinquantaine. Après avoir dressé un état large de sa fortune personnelle, il en vient à sa descendance : deux filles, jeunes femmes au moment de l’histoire, de deux femmes différentes. Sa biographie aurait pu s’arrêter là, et nous aurions parlé de son jardin, de sa carrière professionnelle, ou un-e autre invité-e, présent autour de la table, aurait pu prendre le relais et nous parler d’elle-lui. Comme quoi, les choses tiennent à un tout petit rien, des fois… S’il avait laissé la parole, il ne serait pas entré dans une autre dimension.
Il raconte l’arrivée de sa première fille : « Pas désirée. De toute manière, je n’en voulais pas. Elle[3] me l’a fait dans le dos ! ».
Je pose mon verre délicatement sur la table. Je mets toute mon attention à ne pas m’étrangler avec ma gorgée de vin. J’avale doucement, concentrée sur la douceur, la lenteur de la descente du breuvage dans mon gosier. Ne pas me laisser emporter par une réaction féministe enragée, qui pourrait me faire cracher cet excellent Santenay et noyer ma réflexion.
À cet instant précis, s’il avait fait attention à ses convives, il aurait laissé la parole ou changé de sujet, mais il est tout à lui et à sa glorieuse autobiographie. Porté par son élan, il va raconter, aussi, combien la vie a été sournoise avec lui.
Il a donc eu une fille non désirée. Séparation[4]. Nouvelle rencontre. Nouvelle femme. Nouveau départ. Nouvelle histoire… Et, pas de bol, encore un enfant dans le dos ! À cet instant, il balance entre le dépit face à ses femmes, ces traîtresses, et la joie face à ses filles. Il semble les aimer, ses filles. Les mères ne sont plus d’actualité. Il patauge dans cette trahison dont elles sont les coupables, car il est la victime.
Il faut dire que deux enfants dans le dos, ça n’est vraiment pas de chance. Non ?
Sauf que le chapitre « victime » sera la goutte qui fait déborder mon verre. Je prends une grande inspiration, je choisis la voix doucereuse de la parfaite tête à claque :
- Je ne savais pas qu’on faisait les enfants dans le dos.
Je marque une petite pause pour laisser le temps à ma remarque de trouver un ou deux neurones actifs.
- Je croyais que c’était suite à un acte sexuel non protégé.
Je ne sais pas ce qui a déclenché le silence pesant qui a suivi : la révélation, l’information technique ou la provocation… et franchement, je m’en moque, car à ce moment-là, il est trop tard, je suis lancée dans un long monologue :
Dis-donc, mon garçon[5], si tu ne voulais pas d’enfant, si tu ne voulais VRAIMENT pas d’enfant, tu sais qu’il existe la contraception ? Contraception : ensemble des moyens employés pour rendre les rapports sexuels inféconds. Ça te parle ?
En Sciences Nat, ou SVT selon ton âge, on t’a appris que c’est d’un rapport sexuel entre des individus de sexe différents que la grossesse peut arriver. Si tu n’as pas eu la chance d’aller au collège, tu as sans doute vu des animaux s’accoupler, non ? Et si même là, tu étais trop occupé à courir dans les champs, on a bien dû t’expliquer l’histoire de la graine du papa dans le ventre de la maman, non ?"
Donc, la base, tu l’avais.
Tu savais qu’en copulant, il y avait la possibilité que cela produise autre chose que le plaisir fugace du moment. Alors que tu décides d’oublier cette partie scientifique et importante de la vie parce que tu as autre chose en tête, c’est ton choix. Que tu décides ou imagines qu’elle prend la pilule (ou tout autre moyen contraceptif) parce que c’est une femme qui a décidé de gérer sa fécondité, elle, c’est ton choix. Maintenant, si toi, tu ne veux vraiment pas d’enfant et que tu as décidé d’agir en adulte[6] responsable de ta vie, de tes choix et de ton patrimoine génétique, assume ta contraception et ne viens pas chialer dans ton verre et dans les oreilles de tes convives sur ta misérable situation de victime. Tu peux, TOI AUSSI, gérer ta fertilité.
Dans les basiques, il y a l’abstinence, mais si tu es un bon coup, ce serait dommage de priver les copines. Il y a la bonne vieille capote. Et n’essaie même pas de m’expliquer que « ça fait pas pareil », parce que je vais te raconter ce qu’a provoqué la pilule sur mon corps, ma santé et ma libido, et ça prendrait des heures et une autre bouteille de vin.
Tu as déjà de la descendance, tu es à l’âge d’être grand-père et tu veux prendre ta part de charge mentale autour de la fertilité de votre couple[7] : pense vasectomie[8] ! Je n’ai pas dit « castration », mais vasectomie. Une intervention de dix minutes et tu tires à blanc pour le restant de tes jours. Un petit coup de scalpel et tu es libéré du risque de « grossesse dorsale ». Et tu n’auras plus qu’à te concentrer sur ton jardin."
Sache, Francis, qu’on ne peut jamais faire deux fois la même erreur. La deuxième fois, ce n’est pas une erreur, c’est un choix[9]. Et les choix, ça se porte ! Tu saisis ?
[1] Garçon : enfant de sexe masculin.
[2] Contraception : Ensemble des moyens employés pour rendre les rapports sexuels inféconds.
[3] Elle : la mère et/ou la salope.
[4] Je ne sais plus s’il entre dans les détails : a-t-il élevé ou contribué à l’éducation de cet enfant ? Ça n’est pas le sujet.
[5] Je voulais l’appeler Francis parce que je n’en connais aucun. Je ne voulais froisser personne... Sauf que j’ai envie de faire réagir pour tordre le cou à cette culpabilisation qui m’insupporte. Reviens à l’histoire, maintenant !
[6] Adulte : nom : Personne ayant atteint ou dépassé l'âge de vingt ans environ. Quand c’est un adjectif : personne qui est parvenu au terme de sa croissance, à son plein développement. Qui fait preuve d'équilibre, de maturité.
[7] Couple de ta vie ou de ta soirée...
[8] Vasectomie : Opération qui consiste à couper les canaux déférents des testicules (pour entraîner la stérilité chez l'homme).
[9] Ça n’est pas de moi, mais trop d’auteurs revendiquent cette phrase pleine de bon sens, alors je décide de la plonger dans l’anonymat.
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